Le trafic motorisé individuel implique de multiples conséquences néfastes pour notre santé, pour notre sécurité et pour la qualité de notre environnement. Tous ces faits sont clairement avérés et documentés. Pourtant, même lorsque des alternatives de mobilités pourraient facilement être développées pour diminuer le trafic motorisé (et oui, on pense au vélo ici), la voiture reste ardemment défendue, et ce à tous les niveaux, du politique jusqu’au simple citoyen, même ceux ne conduisant pas !
Un constat que nous partageons chez PRO VELO Valais/Wallis. Modifier le système de mobilité pour le rendre plus attractif pour le vélo est un changement incroyablement difficile à opérer, et ce dès que l’on touche à la mobilité individuelle motorisée.
- Vous nous dites qu’il y aurait la place pour une piste cyclable bidirectionnelle dans cette rue? Je ne n’en vois pas.
- Oui, la rue est très large en fait, il suffirait de supprimer une rangée de places de parc.
- Mon dieu, ceci est inimaginable !
(dialogue véridique)
A qui la faute ? A la MOTONORMATIVITÉ !
Qu’est-ce que la motonormativité ?
Mais que signifie ce terme un peu barbare ? Attention, définition ! La motonormativité décrit les biais cognitifs dont nous sommes toutes et tous (quasiment) victimes. Ces biais consistent à définir la voiture comme moyen de transport prioritaire, et à accepter les conséquences néfastes qui en découlent, alors que ces mêmes conséquences ne sont pas acceptables dans d’autres domaines.
Voici quelques exemples pour illustrer ce phénomène, issus d’un sondage réalisés sur 2000 personnes au Royaume-Uni:
Si quelqu’un laisse ses effets personnels dans la rue et qu’ils sont volés, c’est de leur faute et la police ne devrait rien faire. 40% des gens sont d’accord avec cette déclaration.
Maintenant changeons légèrement la question, en spécifiant le type d’effet personnel volé.
Si quelqu’un laisse sa voiture dans la rue et qu’elle est volée, c’est de leur faute et la police de ne devrait rien faire. Ici, la proportion des interrogés d’accord avec cette déclaration chute à 5%! Pourtant, rationnellement, il s’agit de la même question, la voiture étant un cas particulier d’effet personnel.
Deux autres exemples issus de cette étude sont intéressants:
Le risque fait partie intégrante [de la conduite/du travail], et tous ceux qui [conduisent/travaillent] doivent accepter le fait d’être gravement blessés. Proportions des interrogés d’accord : 61% pour la variante voiture, contre 31% pour la variante travail.
Les gens ne devraient pas [conduire/fumer] dans les zones densément peuplées ou d’autres personnes devraient respirer la fumée des [voitures/cigarettes]. Proportions des interrogés d’accord : 17% pour la variante voiture, contre 75% pour la variante cigarette.
Deux poids, deux mesures
Les gens acceptent donc plus facilement des conséquences néfastes, même très graves, si celles-ci proviennent du trafic individuel motorisé. Une des conséquences directes de la motonormativité est la façon dont sont considérés les accidents de la route. On les traite un peu comme la météo. Personne n’y est vraiment responsable, nous devons simplement accepter ces événements comme des aléas inévitables, des fatalités contre lesquelles personnes n’y peut rien.
Par contre, lorsqu’un accident implique un cycliste, on pose systématiquement la question de ce que les victimes portaient (casque, habits visibles, etc.), sans jamais réfléchir aux causes qui ont abouti à un conflit entre deux modes de mobilités différents, dont un très vulnérable (tels que des aménagements inadaptés).
Autre exemple de motonormativité bien connu des cyclistes. Les données montrent que les cyclistes et les automobilistes enfreignent les règles dans les mêmes proportions. Pourtant, dès qu’un cycliste commet la moindre infraction au code de la route, certains crient au scandale (comme on peut très souvent le lire sur les commentaires en ligne), alors que très souvent ces écarts sont la conséquence d’une recherche de sécurité par rapport à des infrastructures inadaptées. De l’autre côté, le fait qu’un automobiliste enfreigne les règles – la plupart du temps pour gagner quelques précieuses secondes – est très bien accepté socialement.
Des conséquences sur nos infrastructures
Mais ce mode de pensée a également de fâcheuses conséquences sur le monde réel, notamment sur la manière dont on aménage l’espace public, puisque tout doit être entrepris pour faciliter les déplacements en voiture, qui est le mode de transport à prioriser.
Dans les carrefours, les angles des routes ont tendance à être arrondis, et ce pour faciliter le changement de direction des automobilistes, qui peuvent se permettre de moins ralentir (et de gagner de précieuses secondes). De ce fait, si un piéton doit traverser un carrefour, non seulement il se confronte à des véhicules plus rapides, mais en plus le passage piéton (c’est-à-dire la zone à risque) est sensiblement rallongée (si vous avez de la peine à suivre, n’hésitez pas à vous aider de l’image ci-dessous!)
On peut bien sûr éloigner le passage piéton du carrefour pour le placer dans la portion non-élargie de la route, mais le piéton sera toujours pénalisé car son trajet rallongé, la mobilité piétonne rendue moins attractive, tout ceci pour le confort des automobilistes.
Cet exemple peut paraître bien anecdotique. Mais si vous observez comment l’espace public est agencé au travers du prisme de la motonormativité, vous y trouverez multitudes d’autres exemples qui montrent que nos rues sont très souvent d’abord réfléchies pour la voiture, puis pour les autres modes de transports et activités, si la place le permet. D’ailleurs, à chaque rétrécissement de la chaussée, les infrastructures cyclables et pédestres disparaissent systématiquement (du fait de normes motonormatives…), alors que c’est justement dans ces endroits que les utilisateurs les plus vulnérables sont les plus menacés.
Et ceci à des conséquences bien réelles sur la façon dont les gens se déplacent, puisque tout autre mode de transport que la voiture se voit marginalisé et rendu plus compliqué. Cela encourage donc les gens à opter pour la voiture. Après tout, tout est fait pour, réconfortant ainsi les décideurs et planificateurs dans leur choix. Ainsi, la motonormativité s’auto-alimente et se renforce.
Once you see it, you can’t unsee it
La bonne nouvelle, c’est que cela est en train de changer ! Vous vous rappelez de la première image montrant une rue bondée de voitures. En vérité, elle date un peu. Il s’agit de la rue Rivoli à Paris, et voici à quoi elle ressemble aujourd’hui:
En Suisse et en Valais, les choses changent aussi, doucement mais sûrement, vers moins de motonormativité. Des lois et des stratégies se mettent en place afin de reconnaître et de promouvoir le vélo en tant que moyen de transport. Mais tout se passe encore lentement, la faute – vous l’aurez compris – à la motonormativité qui à la peau dure.
Heureusement, une fois que l’on prend conscience de ce biais, il est plutôt facile de le corriger. Et une fois qu’on l’a vu, il est difficile de s’en défaire.
Pour aller plus loin sur ce sujet:
Vidéo “Carspiracy – You’ll Never See The World The Same Way Again” par Global Cycling Network (en anglais) : https://youtu.be/-_4GZnGl55c?si=x0lRCdpU84E1GFl4
Vidéo “Motonormativity: A blind spot we all share”, par l’Université de Lausanne (en anglais) : https://youtu.be/FnhQUJQgf7Y?si=AbAnwOmcfw_A3jd0
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et tu verras, on est cool!
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